SIGNES DE L’ESPRIT

En 1957, à la suite d’une série d’essais d’armes nucléaires dans le Pacifique, on commença de s’inquiéter des dangers des retombées radioactives. L’Organisation mondiale de la santé fit paraître une mise en garde, en mars de cette année-là, concernant les effets génétiques des radiations, et, très peu de temps après, des physiologistes médicaux de divers endroits signalèrent avec horreur que le compte des globules blancs, chez un très grand nombre de patients, subissait une modification rapide et peut-être dangereuse. Il se trouva que ces effets étaient produits par des radiations émanant de réactions nucléaires – mais non point dans le Pacifique. Les années 1957 et 1958 furent des années de formidable activité, mais d’un type échappant au contrôle de n’importe quel traité de proscription des essais, étant donné que les explosions qui irradiaient la Terre avaient lieu dans le Soleil.

Cette découverte est aujourd’hui comprise dans une masse croissante de connaissances démontrant la sensibilité de la vie à des stimuli infimes ; pourtant, nous ne cessons de commettre encore l’erreur de croire que seuls les phénomènes spectaculaires et manifestes qui nous entourent peuvent avoir de l’importance. Ce genre de myopie en est venue à être connue sous le nom d’erreur de « Hans le Malin », en l’honneur d’un fameux cheval qui, résolvant les problèmes, bafoua les savants de l’Europe du XIXe siècle. Ils croyaient que l’animal résolvait des problèmes posés sur un tableau noir en face de lui, alors qu’en fait il se procurait les renseignements nécessaires à ses réponses correctes en observant les gestes involontaires effectués par les savants eux-mêmes dans l’attente de ces réponses. Une large part de la communication animale repose sur l’interprétation de très légères manifestations d’humeur chez d’autres membres de la même espèce et le cheval ne faisait que réagir à l’assemblée de très distingués savants comme s’ils avaient été des chevaux, eux aussi.

En termes physiologiques, le fossé qui nous sépare des autres animaux n’est pas large et, malgré le fait que nous possédions maintenant un langage vocal élaboré ainsi que d’autres systèmes complexes de communication, nos corps continuent de manifester des signes externes de nos sentiments internes. D’instinct nous continuons de répondre à de tels signaux. Nous pouvons écouter une conversation radiophonique et comprendre exactement ce que l’orateur essaie de communiquer ; toutefois, lorsqu’un matériel affectif plus spontané se trouve en cause, nous constatons que l’absence de vision constitue un sérieux handicap. Quiconque s’est jamais servi du téléphone sait comme il est malaisé de transmettre avec la voix seule des sentiments vraiment complexes, et comme il est relativement facile de dire des mensonges à quelqu’un qui ne peut vous observer tandis que vous le faites. Les sourds, à qui manque l’information fournie par la voix, réapprennent à communiquer par le geste seul, et maintenant ceux qui étudient le langage corporel, ou cinétique, ont fait de cet ancien talent un nouvel outil de la psychanalyse et de la recherche.

Les études de laboratoire et les études cliniques du langage corporel ont montré qu’il contredit souvent directement la communication verbale et que la personne qui déclare : « Je n’ai pas peur », émettra en même temps des signaux automatiques trahissant sa frayeur. Cette manifestation externe d’un sentiment interne ne se limite en aucune manière aux muscles longs ; elle apparaît jusque dans les yeux. À l’université de Chicago, Eckhard Hess a découvert qu’il y avait une relation directe entre la dimension pupillaire et l’activité mentale. Dans une série de tests où l’on photographiait les yeux des sujets tandis qu’ils regardaient des images changeantes, il constata que les pupilles s’élargissaient en regardant quelque chose d’intéressant ou de séduisant, et se contractaient lorsqu’elles étaient exposées à n’importe quoi de désagréable ou de peu attirant. Et le fait que nous répondions de manière automatique à ces modifications chez une autre personne fut démontré en présentant à un groupe de sujets masculins deux portraits d’une jolie fille, identiques sauf que ses pupilles, dans l’une des images, avaient été retouchées pour les agrandir. Interrogés sur ces photographies, les sujets déclarèrent qu’ils ne pouvaient distinguer aucune différence entre elles ; cependant, leurs yeux montraient qu’ils réagissaient beaucoup plus fortement à la fille aux larges pupilles. Il est à présumer qu’ils la trouvaient plus séduisante parce qu’ils déchiffraient inconsciemment son signal, qui disait : « Vous m’intéressez beaucoup. »

Il n’y a rien de surprenant à ce que la réaction pupillaire soit liée de façon directe à l’activité mentale. Embryologiquement et anatomiquement l’œil est une, extension du cerveau, et regarder en lui revient presque à épier par un judas une partie du cerveau lui-même. L’action réflexe de l’œil en réponse à la lumière se trouve déterminée par le système nerveux parasympathique et la réaction affective est provoquée par le système sympathique. Ainsi les deux branches de notre réseau nerveux autonome sont-elles en jeu et nous pouvons nous attendre à constater que d’autres parties du corps tributaires de ces systèmes vont aussi manifester des signes de l’esprit.

Dans les situations émotionnelles, les réactions pupillaires se trouvent liées à un accroissement du rythme cardiaque et de la pression sanguine, une respiration plus rapide et une transpiration plus grande. Un des premiers endroits où la sueur apparaisse est sur la paume des mains, ce que l’on connaît sous le nom de réaction psychogalvanique. Il s’agit là d’un orage électrique de la peau, qui éclate soudain quand le possesseur de la paume devient anxieux. On utilise largement ce phénomène dans les tests dits de détection du mensonge, qui mesurent la résistance électrique de la peau. Les résultats de ces tests ne sont généralement pas admis en cour de justice, étant donné qu’ils ne donnent aucune indication de vérité ou de fausseté, mais ne font que fournir une mensuration du trouble émotionnel. Un tel état, souvent, est visible à distance lorsqu’un homme nerveux frotte l’une contre l’autre ses paumes humides, ou les essuie contre ses cuisses. Il est bien sûr immédiatement visible dans la poignée de main, ce qui offre une explication pour l’origine de la coutume, explication qui a biologiquement plus de sens que l’explication traditionnelle : indication de l’absence d’armes.

La raison de la transpiration sur les paumes des mains plutôt que sur les coudes ou derrière les oreilles paraît liée à un autre genre de signalisation à distance : la communication par l’odorat. La plupart des mammifères marquent leur territoire grâce aux sécrétions de glandes odorantes spéciales. Certaines antilopes ont des glandes aux pieds et laissent partout où elles vont des traces distinctives ; d’autres doivent piétiner leurs déjections et transporter partout leur odeur avec leurs pieds. Les tupaïas préparent d’abord une petite flaque d’urine, y pataugent, puis détalent, en laissant partout d’odorantes empreintes de pas. Galagos et lémuriens urinent directement sur leurs mains avant le bond ; aussi, chaque prise devient-elle un avis d’occupation des lieux aussi distinctif que les plaques nominales que nous apposons à la porte de nos bureaux et sur le montant de nos grilles d’entrée.

Chez un primate, les régions les plus indiquées pour répandre l’odeur sont les paumes dépourvues de poils, et la plante des pieds. La plupart des primates supérieurs ont développé le sens de la vue aux dépens de celui de l’odorat ; ils semblent pourtant se servir encore beaucoup de leur nez. Aucun des grands singes n’urine sur ses mains, mais tous ont des glandes sudoripares bien développées sur les paumes et ces dernières paraissent porter une odeur distinctive pour chaque individu. Point n’est besoin d’être chimpanzé pour apprécier les différences. Une partie de l’odeur palmaire est produite par la nourriture : essayez seulement de sentir vos mains quelques heures après avoir mangé des asperges et vous constaterez que l’odeur caractéristique traverse directement les pores de votre peau. Mais une partie de toute senteur est aussi d’origine sexuelle. La physiologie interne se trouve réglée par les hormones et nous savons maintenant que des substances chimiques semblables sont sécrétées de manière externe en vue de la communication et de la régulation de la physiologie d’autrui. C’est ce qu’on appelle des phéromones ; les criquets pèlerins les sécrètent pour accélérer la croissance de leurs jeunes, les fourmis les emploient pour tracer des pistes allant vers le nid et partant de lui, les papillons de nuit femelles s’en servent pour attirer les mâles d’une grande distance. Chez l’homme, de frappantes différences sexuelles ont été décelées dans la faculté de sentir certaines substances. Un biologiste français a signalé que l’odeur d’une lactone synthétique ne pouvait être détectée que par des femmes adultes, et qu’elle était perçue le plus nettement à l’époque de l’ovulation. Hommes et jeunes filles ne peuvent du tout sentir cette substance – à moins d’avoir au préalable reçu une injection énorme d’hormone œstrogène féminine. Il semble qu’une substance chimique très semblable fasse partie du bouquet naturel de l’homme et soit sécrétée par ses glandes sudoripares, en grande partie à la paume des mains.

Ainsi la paume non seulement s’humidifie à des moments de trouble émotionnel, mais ce faisant communique aussi les intentions, le sexe et l’identité individuelle.

Chiromancie

Outre son odeur caractéristique, chaque personne porte également dans ses mains une disposition exclusive. Le derme possède au bout des doigts et sur la paume un assortiment distinctif de sinuosités, de volutes et de courbures. Cela diffère de tout dessin jamais présenté par aucune autre personne. Il n’existe pas de cas authentifié de motifs impossibles à distinguer, même chez les jumeaux prétendument identiques ; aussi ces formes ont-elles servi à des fins d’identification dès la mise au point par lès Chinois d’un système de classification, en 700 ap. J.-C.

La dermatoglyphie est l’étude des motifs en relief et en creux sur les paumes et la plante des pieds. Il s’agit là des dessins qui ont toujours été employés par la police et comme tels ont été soumis de longue date, en plusieurs pays, à des études statistiques sérieuses. Plus récemment ces motifs ont suscité l’intérêt des généticiens car ils montrent des caractères héréditaires, et, formés durant le troisième ou quatrième mois du développement fœtal, persistent inchangés durant la vie entière. La répartition des saillies est déterminée par la disposition des glandes sudoripares et des terminaisons nerveuses et si fermement établie qu’il est impossible de détruire ou modifier de façon permanente les motifs, Ils reparaissent à mesure que la cicatrisation ramène en surface la peau naturelle après de graves brûlures et même après une greffe cutanée.

Il n’existe guère de controverse autour des saillies, étant donné qu’elles ne sont pas les marques utilisées par les bohémiennes diseuses de bonne aventure. Un médecin tchécoslovaque, Jan Purkinje, fut le premier à décrire les motifs ; sa classification et son interprétation sont toujours suivies. À Londres, une Société pour l’étude des motifs physiologiques de la main a commencé de recueillir des données pour essayer d’établir des rapports entre des motifs distincts et certains états pathologiques. Jusqu’ici, les résultats semblent prometteurs, mais il en faut bien davantage pour qu’ils aient une signification statistique.

Superposés au fond de style art nouveau des dessins finement gravés de la main sont les lignes et plis plus visibles. Il s’agit là du matériau de la chiromancienne de foire et, fait surprenant, c’est avec ces lignes que nous découvrons d’excitantes corrélations biologiques. Les anatomistes décrivent les plis de la paume comme des « lignes de flexion » ; toutefois, il n’existe pas de bonne raison fonctionnelle pour que ces lignes tombent dans telle position plutôt que telle autre. Chaque main semble avoir ses propres idiosyncrasies et les chiromanciens insistent sur le fait qu’elles ont une signification,

Sir Francis Galton, un cousin de Charles Darwin, fut l’un des premiers savants respectables à prendre au sérieux la notion de diagnostic palmaire. Galton constitua une collection d’empreintes palmaires et les présenta à l’université de Londres en même temps qu’il y fondait une chaire de professeur et la science de l’eugénisme. Le Laboratoire Galton a poursuivi ses études, et, en 1959, démontré que le mongolisme est dû à une anomalie des chromosomes qui produit en outre une ligne caractéristique, connue sous le nom de « pli simien », en travers du sommet de la paume. Depuis lors, une trentaine de troubles congénitaux différents ont été liés à des motifs particuliers de la paume, dont certains sont visibles avant même l’apparition de la maladie. En 1966, on fit pour la première fois le lien entre des empreintes palmaires anormales et une infection virale. Trois pédiatres new-yorkais prirent les empreintes palmaires de bébés nés de mères ayant eu la rubéole en début de grossesse et s’aperçurent que même si les bébés n’étaient affectés en aucune autre façon, tous avaient un pli caractéristique et inhabituel dans la main.

En 1967, une équipe de médecins japonais étendit son système d’identification de bébés à des malades de tous âges admis dans un hôpital d’Osaka. Après avoir réuni plus de deux cent mille empreintes et les dossiers médicaux s’y rapportant, ils découvrirent l’existence de nombreuses corrélations entre les motifs et les maladies traitées. Ils prétendent que non seulement la position de telle ligne particulière est importante, mais que sa longueur, sa largeur, la mesure où elle a été fragmentée en îles et en triangles, et même sa couleur ont une signification diagnostique. Ils sont maintenant capables de dire, uniquement en examinant une empreinte palmaire, si tel patient souffre ou a récemment souffert de maladies organiques telles qu’insuffisance thyroïdienne, déformation de la colonne vertébrale, mauvais fonctionnement du foie et des reins. Ils déclarent également possible de prédire avec un haut degré d’exactitude si tel patient particulier risque de contracter des maladies infectieuses comme la tuberculose et peut-être même le cancer.

Il existe une énorme quantité de terminaisons nerveuses dans la main pour sentir la chaleur et le froid, la pression et la douleur. Un si grand nombre d’entre elles sont en liaison directe avec le cerveau que si les proportions humaines étaient déterminées seulement par l’abondance en nerfs, nous aurions des mains grandes comme des parasols. Si les chiromanciens ont raison d’affirmer que ces nerfs assurent une circulation dans les deux sens, et que toutes les conditions physiques internes sont reflétées à l’extérieur dans nos paumes, cela n’a dès lors pour un praticien de médecine générale plus guère de sens de demander à voir la langue d’un patient. Ne serait-ce qu’en vertu des preuves déjà clairement établies, il pourrait en apprendre bien davantage en disant : « Bonjour. Comment allez-vous ? Tendez-moi votre main, je vous prie. »

Dire la bonne aventure au moyen des lignes de la main présente avec l’étude sérieuse de la chirologie le même rapport que les horoscopes de journaux avec la véritable astrologie. Les chirologistes s’occupent de l’ensemble du tableau présenté par la main. Ils étudient à la loupe le modèle fondamental de la peau afin de découvrir des modifications dans la texture et le rythme ; ils examinent toutes les lignes de flexion et les lignes plus petites qui les croisent, accordant une attention particulière aux façons dont elles s’interrompent ou se coupent ; ils tâtent les muscles et tendons sous-jacents, et notent les monts et saillies qu’ils produisent ; ils étudient l’épaisseur et la forme de la paume, les longueurs relatives des doigts et du pouce, la flexibilité et la forme des jointures, la couleur et la texture des ongles et de la peau. Ce n’est qu’après avoir effectué toutes ces observations qu’un chirologiste sérieux tentera de réunir les fils pour faire un bilan de l’état physique et psychologique du sujet.

La physiologie de base qui se trouve derrière leurs postulats semble valable. Le cerveau, le système nerveux et les organes des sens proviennent tous de l’ectoderme de l’embryon, en même temps que la peau. Leur commune origine signifie que durant la vie entière ils conservent des relations très étroites et il n’est pas du tout déraisonnable de supposer que beaucoup de phénomènes internes se manifesteront au-dehors à travers la peau. La jaunisse, une maladie du foie, se manifeste de façon typique, durant les premiers stades, sous l’aspect d’une pigmentation jaune de la peau. L’arthrite rhumatoïde, qui s’attaque aux jointures des petits os, peut également apparaître sous forme d’écailles sèches, argentées, sur la peau. Il s’agit là de modifications évidentes, externes, mais il est possible qu’un grand nombre d’autres désordres physiques internes provoquent des effets moins évidents, que l’on ne peut reconnaître que par une étude attentive de zones sensibles de la peau telles que celles de la main. Il existe certainement un lien très étroit entre la plupart des maladies de peau et les conditions mentales. Dermite, urticaire, acné, verrues et réactions d’allergie sont toutes des états cutanés provoqués presque entièrement par de l’angoisse et d’autres types de troubles affectifs. Ainsi, en théorie, il n’existe aucune raison pour laquelle il serait impossible de formuler des jugements sur l’état mental prédominant de quelqu’un, et donc sur sa personnalité, d’après des signes apparaissant dans la peau.

La plupart de ces états n’affectent que la texture et le type généraux de la peau. Le rapport entre les états physiques et mentaux internes et les lignes de plis de la paume est plus difficile à établir. Les lignes ne suivent pas la disposition du squelette, des muscles, des tendons, des vaisseaux sanguins, des nerfs, ni des glandes lymphatiques ou sudoripares. Les anatomistes prétendent que les plis sont entièrement fortuits et ne sont là que pour permettre à la chair de la paume de se plier quand la main forme un poing. La division caractéristique et fondamentale de la paume par deux lignes en gros horizontales (celles que les chiromanciens nomment lignes de tête et de cœur) et de deux lignes en gros verticales (lignes de chance et de vie) est presque certainement produite par la résolution des diverses forces physiques établies dans la main par la flexion et la tension, Il semble bien pourtant qu’il existe un autre principe qui gouverne leur forme exacte et l’aspect continuellement changeant des plis plus petits. Si les forces physiques étaient seules responsables, on s’attendrait que les lignes demeurassent stables dans la main d’un homme dont la façon de vivre et de travailler serait d’une constance relative d’un jour à l’autre ; pourtant, des études à long terme montrent qu’il existe une fluctuation constante dans la disposition des paumes. Il y a le cas spectaculaire d’un peintre en bâtiment qui tomba d’une grande hauteur et subit un choc si grave qu’il resta inconscient pendant quinze jours où il fallut l’alimenter par voie intraveineuse. Au bout d’une semaine passée dans cet état, tous les plis de ses mains disparurent comme effacés par une éponge – puis, à mesure qu’il reprenait conscience, les lignes reparurent progressivement.

Les masques mortuaires ressemblent souvent fort peu à la personne vivante. Durant la vie entière, et jusque dans le profond sommeil, les nombreux petits muscles faciaux sont dans des états de tension variable, produits par une stimulation constante émanant du cerveau. Ces ondes d’activité ont pour effet total de produire un type d’expression qui donne à chaque visage ses traits personnels. Il est vraisemblable qu’un approvisionnement similaire émane du cerveau en direction de toutes les parties du corps et renforce constamment la forme et la fonction. Le type exact de l’empreinte palmaire, comme celui du battement cardiaque ou du champ vital, paraît dépendre du maintien de ces signaux, car en effet les lignes de la main commencent à se désintégrer quand les impulsions cessent, à l’instant de la mort.

Les signaux provenant du cerveau déterminent aussi comment la main sera utilisée. En cela, la science du langage corporel a pour parallèle une science plus ancienne où les gestes sont beaucoup plus subtils, chacun pourtant se trouvant enregistré au moment de son exécution en un code écrit que l’on peut examiner et analyser à loisir.

Graphologie

En 1622, Camillo Baldo publia le premier livre connu sur le sujet qui portait le titre : Traité de la façon dont un message écrit peut révéler la nature des qualités du scripteur. Il fut suivi par Goethe, les Browning, Poe, Van Gogh, Mendelssohn et Freud. Aujourd’hui, les graphologues, de même que les chirologues sérieux, ont circonscrit le domaine de leur science et fait sortir l’analyse de l’écriture manuscrite de son atmosphère de champ de foire pour en faire un instrument utile, maintenant largement employé en psychanalyse ainsi que pour l’orientation scolaire ou professionnelle.

Il n’y a rien d’instinctif dans l’écriture manuscrite. Personne n’est jamais né avec la faculté de se servir de la plume et du papier. Il s’agit là strictement d’un type de comportement appris, qu’il faut acquérir par des années d’efforts assidus sous la surveillance attentive d’un maître. Ainsi, toutes les traces écrites trahissent-elles des schémas de culture et d’environnement qui dépendent purement de l’endroit et de l’époque où telle personne apprit à transcrire les symboles traditionnels. Mais après des années de pratique, l’écriture devient machinale et tout acte automatique est davantage influencé par les facteurs personnels. Chez l’adulte, la plume trace une lettre après l’autre presque inconsciemment, cependant que l’esprit tourne autour de la sonorité du vocable. Entre la pensée et le résultat final, il se trouve amplement place pour l’expression du caractère et il n’est guère douteux que la forme de chaque ligne constituant chaque lettre porte la marque de l’auteur.

Nombreux sont les exemples d’animaux qui montrent des différences individuelles en des types de comportement appris, Les jeunes écureuils rencontrant pour la première fois une noix à coquille dure font dessus, avec leurs dents, des types de raclure fortuits jusqu’à ce qu’enfin la noix cède et s’ouvre. À mesure qu’ils acquièrent plus d’expérience, ils apprennent la façon d’appliquer au mieux le minimum d’effort pour le maximum de résultat en suivant les fibres de la coque et sans travailler à contre grain. Les techniques diffèrent en ce que certains individus rongent un morceau du sommet de la noix, d’autres creusent des sillons qui montent pour se rejoindre au sommet, d’autres encore encerclent le sommet et enlèvent le couvercle, d’autres enfin tranchent proprement et complètement la noix en deux. Chaque écureuil laisse un modèle si distinct qu’un expert peut se rendre en forêt et dire, uniquement en regardant les coquilles, combien d’animaux étaient en cause. S’il se trouve être un bon spécialiste animalier, il peut classifier les empreintes de dents de tous les écureuils vivant dans le secteur et non seulement suivre à la trace leur développement et leur localisation, mais même se faire une idée de l’état de santé de chaque individu.

Il existe un lien précis entre l’écriture manuscrite et la santé. Certains analystes se prétendent capables de détecter des maladies spécifiques à partir du manuscrit. Il est certain que la perte de coordination due à la maladie de Parkinson provoque une déformation flagrante de l’écriture. L’Association médicale américaine rapporte : « Il y a des maladies organiques précises que le graphodiagnostic peut aider à diagnostiquer dès leurs tout premiers débuts. » Ils mettent au nombre l’anémie, l’empoisonnement du sang, les tumeurs et diverses maladies osseuses, mais ajoutent que l’âge peut provoquer des signes très voisins. Quelques gériatres expérimentés croient possible d’utiliser l’écriture manuscrite comme un genre de rayon X pour distinguer entre un véritable déséquilibre mental et la sénilité normale. La désintégration générale des types d’écriture manuscrite qui se produit dans les troubles tant émotionnels que physiques est nettement reconnaissable et presque impossible à déguiser.

Comme l’astrologue ou le chirologue sérieux, le bon graphologue a le souci du détail. Avant de faire une étude, il réunit plusieurs échantillons d’écriture tracés à des époques différentes, de préférence au moyen de plumes différentes, et ne travaille jamais sur des matériaux spécifiquement tracés en vue de l’analyse. Il examine l’inclinaison, le poids de l’écriture ; observe les marges, l’espacement, le rythme et la lisibilité ; scrute la ponctuation, la façon dont est barré le t, dont sont pointés l’i et le j ; étudie la forme des boucles et la manière dont les traits débutent et s’achèvent. Outre tous ces caractères, la répétition passe pour importante ; plus un trait se remarque souvent dans le manuscrit, plus il passe pour être puissant. On mesure aussi la fréquence relative ; ainsi peut-on réconcilier des motifs indiquant des traits contrastés. Si pour l’analyse on ne dispose que d’une quantité limitée d’écriture manuscrite, c’est de la signature du sujet que les graphologues pourront tirer le plus d’informations. Il s’agit là de quelque chose qui est si fréquemment tracé et avec une telle référence spécifique à soi-même que cela devient une représentation stylisée du scripteur aussi personnalisée qu’une empreinte digitale. D’où son utilisation à des fins d’identification.

Dans l’évaluation de tous les types de comportement, il faut commencer par savoir quelle quantité est déterminée uniquement par les nécessités fonctionnelles, et une fois cette quantité soustraite le reste peut servir d’indication sur les préférences culturelles et personnelles. Un membre de tribu aborigène met sur soi ce qu’il faut de vêtements pour se protéger du soleil ou du froid et tout ce qu’il porte en plus, et par-dessus, doit s’y trouver pour d’autres raisons ; il convient néanmoins d’être fort circonspect dans l’attribution de valeur aux articles supplémentaires. Ils peuvent être portés pour des raisons traditionnelles et culturelles, par convention et pudeur, à moins que les vêtements ne présentent une signification religieuse ou magique, ou peut-être des valeurs sociales, comme le rang ou la position. Ce n’est qu’une fois épuisées toutes ces possibilités que nous pouvons sélectionner, mettons, un collier de cauris et dire qu’il exprime la personnalité de l’individu, lequel doit être d’un caractère dépensier doté d’un goût raffiné de la nature. Sur quoi, nous découvrons que les cauris constituent la forme locale d’argent liquide, et que notre homme était simplement en train d’aller s’acheter un nouveau harpon. Ce genre de chausse-trape est commun aux sciences de la vie et s’applique directement à des études telles que celle de la graphologie.

Dans l’écriture, les lettres et les mots sont des symboles de langage et d’idées. Il s’agit de signaux fonctionnels, disposés en motifs ayant toute une variété de nuances traditionnelles et culturelles. À l’expérience, il est impossible de dépouiller les courbes bien rondes, les longs pleins et déliés penchés, les fioritures qui révèlent l’identité nationale et ne font qu’indiquer que le scripteur a appris à se servir de sa plume en France. Il faut aussi reconnaître que des tracés épais peuvent n’être provoqués que par la mauvaise qualité du papier dans un pays sous-développé ou, dans un pays prospère, par la mode actuelle du stylo feutre. Cet examen préliminaire n’est pas toujours effectué avec le soin nécessaire ; mais sous tous les détails superficiels qui peuvent tromper, il apparaît qu’il y a, en graphologie, un certain nombre de modèles fondamentaux pouvant servir de moyen scientifique valable dans l’évaluation du caractère individuel.

Je crois que nous répondons tous même sans apprentissage à de subtils signaux dans la graphie d’autrui et qu’une lettre d’un être aimé porte en chacune de ses lignes et dans chacune de ses fioritures un message inconsciemment codé, tout à fait distinct de la signification des mots en cause. Autrement, pourquoi serions-nous mécontents de recevoir une lettre dactylographiée d’un ami intime, si ce n’est que la machine s’interpose entre nous et nous enlève la possibilité de déchiffrer les lignes elles-mêmes.

Un psychologue américain déclare : « La longueur de vos traits, la largeur de vos boucles, l’endroit où vous placez le point sur l’i n’est pas une question de hasard. Tout cela est gouverné par les lois de la personnalité ; … les mouvements que vous faites en écrivant sont pareils à des gestes : ils expriment ce que vous ressentez. Tout ce qui vous émeut, vous dérange ou vous excite – soit affectivement, soit physiquement – apparaît dans les marques que vous faites avec votre plume. » C’est pourquoi de nos jours la General Motors, la General Electric, l’US Acier, la Société de pneus et caoutchouc Firestone appointent tous à plein temps des spécialistes pour ne rien faire d’autre qu’examiner ces marques – et ils semblent mériter leur salaire.

Bien que la main et son comportement fournissent l’une des plus sensibles mesures externes des fonctionnements du cerveau, il y a d’autres signes extérieurs de l’esprit.

Physiognomonie

La plupart des amibes se multiplient de la manière immortelle – en se fendant par le milieu pour former deux cellules-filles, puis en recommençant fois après fois dans la mesure du nécessaire. Mais il existe d’autres espèces qui s’adonnent à la reproduction en commun, se réunissant par groupes allant jusqu’au demi-million qui forment un organisme sexuel spécial. Le Dictyostelium discoideum est normalement une cellule isolée, indépendante, qui flotte ici et là sur le mode irrégulier habituel aux amibes ; cependant, chaque fois que la nourriture se fait rare et qu’il se trouve un certain nombre d’autres amibes dans les parages, les cellules se rassemblent en des points centraux de réunion, et construisent des tours qui grandissent jusqu’à ce qu’elles s’écroulent en une petite masse scintillante. Cet amas revêt la forme d’une balle d’arme à feu, devient une limace ayant des extrémités avant et arrière distinctes, manifeste une sensibilité communautaire à la chaleur et à la lumière, et émigre en tant qu’être unique, doué d’intention, vers le milieu le plus favorable. Là, il se tient debout sur une extrémité, forme une longue tige mince et élève en l’air, à la façon d’un ballon au bout d’une corde, une masse sphérique de cellules. Les amibes séparées constituant la structure adoptent des fonctions différentes, certaines formant la tige de soutien, et d’autres devenant des spores qui seront emportées par les courants pour libérer quelque part ailleurs de nouvelles amibes indépendantes.

Chez un organisme unicellulaire, cet effort collectif est un progrès remarquable. John Bonner a découvert qu’il était rendu possible par le fait que toutes les amibes ne sont pas créées égales. Il y a des différences visibles entre celles qui sont destinées à devenir la tige et celle qui seront des spores : les constituantes de la tige sont légèrement plus grandes que les autres et se déplacent plus vite. Ainsi, jusque dans une société aussi ancienne que cette limace, il est possible de distinguer des individus en se fondant uniquement sur leur apparence et de l’utiliser pour décrire leurs types de comportement et pour prédire leurs destinées.

Chez les organismes plus complexes, on peut travailler sur des indices encore plus nombreux ; des branches entières de la science, comme la paléontologie, sont forcées de tirer des déductions sur le régime alimentaire, l’habitat et le comportement directement à partir de ce que l’on connaît de la structure d’espèces depuis longtemps éteintes. La collaboration entre l’ingénieur George Whitfield et la zoologiste Cherrie Bramwell, à l’université de Reading, a fourni par déduction de nouveaux renseignements de cet ordre au sujet du Pteranodon ingens, la plus grande créature volante qui ait jamais existé. Travaillant à la façon d’une équipe en train de reconstituer un avion de ligne accidenté, à partir de morceaux épars du squelette ils estiment la largeur de ses ailes à sept mètres et son poids total à dix-sept kilos seulement – et d’après ces renseignements déduisent qu’il était faible en vol moteur, mais était un planeur très efficace, avec un taux de chute extrêmement bas ainsi qu’une rapidité de vol et une perte de vitesse très faibles. Ces indices, joints à une étude des dents, suggèrent que ce reptile planeur du type vautour vivait en mer, prenant son essor dans l’air ascendant aux endroits où le vent souffle au-dessus des vagues, et plongeant pour attraper le poisson à la surface. Ils suggèrent aussi qu’il nichait sur des falaises situées face à la mer et au vent prédominant et regagnait sa demeure en s’élevant devant la paroi et se laissant doucement tomber au sommet. Introduisant une tête fossile dans un tunnel aérodynamique, nos deux chercheurs découvrirent que la longue et mince lame osseuse qui faisait saillie au dos de la tête du pteranodon représentait un aileron aérodynamique, lequel équilibrait les charges pesant sur le bec lorsque la tête se balançait de droite et de gauche en quête de proie ; et que cet accessoire permettait à l’animal d’économiser sur le poids des muscles du cou et le rendait mieux adapté encore aux vents légers ainsi qu’aux mers chaudes, peu profondes, du crétacé.

Des exploits similaires de la détection scientifique jouent un grand rôle dans la recherche des ancêtres de l’homme. Dubois, qui découvrit en 1891 le fameux homme fossile de Java, n’avait rien que quelques dents pour point de départ ; mais, s’en servant en même temps que de la calotte crânienne et d’un fragment de fémur, il fut capable de deviner que l’Homme de Java était primitif, avec un cerveau de taille intermédiaire entre l’homme et le gorille, et qu’il marchait debout. Des trouvailles ultérieures, plus complètes, montrèrent que ce diagnostic était correct.

Si un raisonnement de ce genre est capable de fournir des résultats vérifiables pour les formes fossiles, il n’existe aucune raison l’empêchant de s’appliquer aussi bien aux vivantes. Nous savons que le physique de beaucoup d’hommes se trouve lié de façon directe au climat dans lequel ils vivent. Les Dinka d’Afrique sont grands et minces ; ils ont ainsi, par rapport à leur poids, une grande surface qui permet une facile déperdition de chaleur, tandis que les Esquimaux sont comparativement courts et matelassés de graisse afin de conserver celle-ci. La face des Mongols du Nord-Est asiatique est aplatie, ce qui réduit la morsure du gel ; ils ont des yeux aux paupières épaisses, ce qui les protège contre l’aveuglant éclat de la neige ; ils sont glabres, ce qui réduit le risque de condensation sur les poils entourant la bouche. Les peuples équatoriaux ont tendance à avoir la peau sombre, avec un pigment qui protège du Soleil les couches plus profondes, cependant que les peuples nordiques sont très blonds, ce qui leur permet de tirer le maximum de profit de chaque rayon de Soleil pour favoriser dans leur peau la formation de vitamine D. Ce genre de technologie climatique permet de tirer de l’aspect morphologique d’un homme des déductions sur son habitat et son mode de vie, ou ceux de ses ancêtres. Dans une certaine mesure, cette connaissance nous donnera quelques indications sur son caractère, mais il est possible d’en apprendre beaucoup sur les types de personnalités en considérant directement la seule apparence physique.

Aristote et Platon ont déjà pensé à la question ; mais c’est Johann Lavater, un mystique suisse du XIXe siècle, qui fit les premiers travaux scientifiques sur la physiognomonie – « connaissance à partir du corps ». Charles Darwin exprima des idées similaires en son Expression des émotions chez l’homme et les animaux, et fit remarquer que des structures corporelles spéciales s’étaient développées par évolution pour indiquer certaines émotions, et qu’il serait raisonnable de déduire de la présence de ces structures que l’émotion correspondante jouait un grand rôle dans la vie de l’animal en question. Dans des travaux plus récents et moins érudits sur la physiognomonie, les auteurs ont eu tendance à faire des généralisations plutôt fantaisistes, du type « un menton à fossette constitue le signe assuré d’une disposition chaleureuse, aimante », lesquelles, si tant est qu’elles aient la moindre signification, ne sauraient s’appliquer qu’à de petits groupes localisés de personnes. Et pourtant, si l’on essaie de parcourir la littérature sur la physiognomonie, on y trouve un germe de vérité qui présente une signification biologique.

Si l’on prend l’homme dans son ensemble, on peut distinguer certains types fondamentaux de forme et de proportions. La hauteur de l’homme est généralement six fois la longueur de son pied ; la face, du sommet du front à la pointe du menton, mesure un dixième de la hauteur ; la main, du poignet à l’extrémité du médius, est généralement de même longueur que le visage de la naissance des cheveux au menton ; la distance entre les cheveux et les sourcils est la même que celle des sourcils aux narines et des narines au menton ; et la taille est normalement égale à la distance entre l’extrémité des doigts, les bras étendus latéralement. Il est intéressant que ces « normes » humaines mondiales soient exactement les proportions considérées les plus harmonieuses par les sculpteurs de la Grèce classique. Il existe naturellement des variations considérables à travers le monde ; néanmoins, on peut établir des moyennes nationales, raciales et culturelles, et si tel individu varie de manière sensible autour de ces critères, il doit y avoir une bonne raison biologique à la déviation. En 1940, William Sheldon élabora un système de somatotypologie reconnaissant trois extrêmes de la forme corporelle : l’endomorphe est essentiellement arrondi, avec une tête ronde, un gros ventre, une construction lourde, et beaucoup de graisse, bien qu’il ne soit pas nécessairement gros et ne passe pas dans une autre catégorie lorsqu’il perd du poids : il ne fait que devenir un endomorphe mince. Le mésomorphe est le modèle des sculpteurs classiques, avec une large tête, de larges épaules, beaucoup de muscle et d’os, pas beaucoup de graisse et des hanches relativement étroites. Quant à l’ectomorphe, il est tout en pointes et angles aigus, avec des membres maigres, des épaules et des hanches étroites, et peu de muscle, en sorte que même engraissé il ne devient pas un endomorphe. Chacun possède un peu des trois dans sa constitution et un groupe de gens pris au hasard, disons les membres d’un jury ou les voyageurs d’un même train, manifesteront toutes les combinaisons possibles ; cependant, une sélection en vue d’exploits physiques particuliers se fondera sur certaines formes : les athlètes olympiques sont rarement endomorphes. Il ne paraît toutefois pas qu’il y ait la moindre corrélation entre la forme et l’intelligence : un groupe de lauréats d’université présente un type de combinaisons tout à fait fortuit.

Phrénologie

Franz Gall, un anatomiste qui travaillait à Vienne à la fin du XVIIIe siècle, fit des études spéciales de neurologie, et décida que le cerveau était responsable de la production des phénomènes de l’esprit. Cette hérésie lui valut d’être expulsé de l’Autriche catholique. Il poursuivit ses travaux en exil, et décréta que non seulement les émotions étaient produites dans la tête, mais que différentes émotions naissaient dans différentes parties du cerveau. Il s’agissait là d’une idée astucieuse et révolutionnaire en un temps où l’opinion orthodoxe était que le cerveau, quoi qu’il fît, fonctionnait comme un tout. Jusque-là, Gall avait absolument raison ; mais il prit la tangente et commença d’attribuer des fonctions à certaines régions du cerveau sur les indices les plus futiles. Il se rappela que deux de ses camarades de classe, doués d’une bonne mémoire, avaient aussi les yeux saillants et en conclut que la faculté de mémoire devait être située dans les lobes frontaux du cerveau, aussitôt derrière les yeux. Dans les hémisphères cérébraux, il choisit des emplacements pour les fonctions du langage et du calcul pour des raisons tout aussi vagues et publia toutes ses théories dans un livre qui, beaucoup plus tard, provoqua la grande vogue de la phrénologie. La société européenne la découvrit avec ravissement et « les bosses du crâne » devinrent un passe-temps de salon à la mode à Londres et à Paris. On fabriquait des crânes chauves grandeur nature, en porcelaine, servant de cartes et semés en tous sens, comme il convient, d’étiquettes portant les mots « sublimité », « idéalisme », « bienveillance », ainsi que ce merveilleux substitut victorien pour sexualité : « philoprogénitivité ». Le sujet tomba vite en discrédit et les anatomistes sérieux refusèrent totalement de s’y intéresser, ce qui fut dommage, car il renfermait une idée utile qui resta perdue pendant cent cinquante ans.

Les phrénologistes commirent deux erreurs fondamentales. Ils présumèrent que si chez quelqu’un telle faculté se trouvait particulièrement bien développée, la partie du cerveau où, pensait-on, elle était localisée devait, elle aussi, être vaste et bien développée ; et ils crurent que ces accroissements cérébraux produisaient à la surface du crâne des bosses et dépressions correspondantes. Aujourd’hui, nous savons que le volume du cerveau n’a pas grand-chose à voir avec son efficacité (Byron avait un cerveau très petit), et que les bosses de la tête sont provoquées par un épaississement de l’extérieur du crâne. Il n’existe aucune similitude entre les ondulations de l’intérieur de la boîte crânienne et les saillies externes. Les phrénologistes, cependant, avaient raison quant à la localisation des fonctions dans certaines régions du cerveau : il existe un centre du langage, et un autre qui gouverne l’activité sexuelle. Ce ne fut pas avant 1939, quand on fit des expériences sur des singes à qui on avait enlevé certaines parties du cerveau, que la science saisit véritablement le fait que le caractère et la personnalité se trouvaient localisés dans des régions spécifiques. Dans une opération, on ne pratiqua des altérations qu’à un seul côté du cerveau, de sorte que, l’œil gauche ouvert, le singe était violent et agressif, et que, ne regardant qu’à travers son œil droit, il devenait indifférent et docile. Ce qui, soit dit en passant, fournit une base anatomique à la vieille croyance que les sorcières ont un « mauvais œil », dont les pouvoirs diffèrent de façon marquée de ceux de l’autre.

Bien qu’il n’existe pas de bosses d’agressivité sur la tête, les régions cérébrales responsables du déclenchement d’un comportement agressif provoquent bien un enchaînement de réactions musculaires de type presque constant. Le babouin possède un répertoire de trois expressions faciales de base pour accompagner le comportement d’attaque, de menace agressive et de menace apeurée. Dans toutes ces expressions les yeux sont largement ouverts, et, suivant le niveau d’agressivité, les sourcils passent du froncement bas à une position haussée. La constante répétition de ces types par un individu placé dans une position hiérarchique incertaine laisse sa marque sur sa face. Des lignes verticales et horizontales se creusent en permanence sur le front, ce qui donne une manifestation extérieure visible d’un état émotionnel prédominant. La physiognomonie fonctionne dans la mesure où il est possible, à la vue d’un tel animal ou d’un tel homme, de prédire qu’il est sans doute plus que normalement agressif.

Chez les grands singes et chez l’homme, un état de plaisir se trouve indiqué par un relâchement des yeux et, à haute intensité, par un gonflement automatique de petites poches à la paupière inférieure. Cette réaction ne saurait être simulée, elle n’apparaît que dans le bonheur authentique et, si elle se produit souvent, laisse la poche dans un état permanent de gonflement partiel. Ce caractère n’a été noté que récemment par les physiologistes et les éthologistes, mais on le trouve bien décrit dans tous les ouvrages de physiognomonie.

Le rapport entre d’autres états intérieurs et l’apparence extérieure est moins évident. Les physiognomonistes assimilent traditionnellement le type endomorphe, à face arrondie, à une personnalité impliquant la bonne humeur et l’adaptabilité ; le visage mésomorphe, à forte structure osseuse et musculaire, passe pour indiquer un caractère énergique et puissant ; quant au mince visage en forme de poire de l’ectomorphe, il est censé manifester de l’imagination et de la sensibilité. En gros, la plupart des psychologues sont d’accord avec ces caractéristiques tant qu’elles ne s’appliquent qu’aux exemples extrêmes des trois types, mais il s’agit là d’une généralisation de peu de valeur véritable. Un autre critère souvent utilisé est la position de l’oreille : plus elle est située en arrière contre la tête, plus important serait l’intellect. Embryonnairement, la position est déterminée par celle du nerf auditif, qui se trouve parfois déplacé si la région corticale du cerveau est bien développée – aussi peut-il y avoir quelque chose de vrai dans cette croyance. L’idée non prouvée qu’un nez fort et crochu constitue le signe d’un chef doit avoir pour origine l’époque romaine, où commandaient effectivement des gens dotés de nez pareils : pourtant, il serait vain de chercher un nez de cette forme parmi les très capables chefs asiatiques et africains des temps présents. Bien d’autres caractères physiognomoniques, tels que les cheveux roux, les yeux bruns et les lèvres épaisses, sont pareillement associés à des stéréotypes raciaux et ne signifient rien. Les oiseaux de proie tuent pour vivre ; aussi associons-nous les becs crochus à un comportement violent et agressif et l’opposons-nous au stéréotype de la douce colombe au tendre bec. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité. La vie sociale de la plupart des oiseaux de proie est tranquille et rangée, alors qu’il y a peu de choses plus sanglantes et destructrices que la bataille entre colombes mâles rivales. Dans notre estimation du caractère et du comportement humains, nous avons tendance à commettre le même genre d’erreur.

Les petits points forts de la physiognomonie résident en partie dans la physiologie, en partie dans le comportement. Il y a des états morbides, comme l’hyperthyroïdie, qui provoquent un excès d’hormone thyroïdienne et produisent de l’hyperactivité et de l’excitabilité – et l’un des symptômes classiques de ce trouble, ce sont les yeux saillants. Il y a des caractères externes qui peuvent s’acquérir par la constante répétition d’un acte musculaire en liaison directe avec un état mental particulier. Ces corrélations doivent être statistiquement significatives, en ce qu’un grand nombre de gens qui présentent une certaine apparence se comporteront aussi de façon prévisible ; toutefois, les comparaisons devraient être faites avec prudence.

La physiognomonie a eu plusieurs rejetons – l’un des plus fantaisistes étant l’interprétation des grains de beauté sur le corps, la théorie voulant que la forme et la couleur du grain de beauté, ainsi que sa position, constituent des indications du caractère. Ces marques sur la peau sont fréquemment congénitales et héréditaires, apparaissant souvent à la même place exactement sur un enfant que chez l’un de ses parents ; aussi leur position n’est-elle pas déterminée par le hasard ; pourtant, rien ne vient confirmer l’idée qu’un grain de beauté à la cheville indique « une nature craintive », ou qu’un autre à l’oreille apportera « des richesses tout à fait inespérées ».

Une si large part de notre caractère est déterminée par l’éducation et l’expérience que tout système d’interprétation qui s’appuie sur des traits physiques permanents a des chances d’être inexact. Les gens se transforment, et les modifications transitoires constituent des indices beaucoup plus sûrs de l’humeur puisque les meilleurs signaux sont ceux qui, comme la lumière clignotante, produisent un changement brusque et spectaculaire. Rougir en est un. En soi, il s’agit d’un rougissement de la peau provoqué par dilatation des vaisseaux sanguins ; c’est chez les femmes jeunes qu’il est le plus commun ; cependant, il peut se produire chez tous les humains quel que soit leur sexe ou leur couleur, et peut presque être considéré comme un caractère biologique de notre espèce. Les documents nous apprennent que les filles qui rougissaient facilement atteignaient les prix les plus élevés dans les anciens marchés d’esclaves, ce qui suggère que le signal implique des facteurs de sexualité et de soumission. Desmond Morris émet l’hypothèse qu’il s’agit d’une invitation puissante à l’intimité. En tant que tel, il a probablement la même fonction que le plumage nuptial chez nombre d’oiseaux mâles, qui n’apparaît qu’à certaines époques et, lorsqu’il se manifeste, indique le désir et l’intention de se reproduire.

Tout compte fait, il semble qu’il y ait des limites à ce que l’on peut apprendre sur l’état mental d’un individu d’après la seule observation des signes externes de l’esprit. Un appareillage sensible, tel que les électroencéphalographes et les détecteurs de champ vital, fournit une vision plus précise des parties externes des processus internes ; toutefois, même ceux-là ne mesurent que les franges du phénomène. Pour véritablement mesurer les potentialités du cerveau, il est nécessaire d’apprendre de nouvelles techniques de maîtrise de soi-même et de contact avec autrui. Quelques-unes de ces clés de la Surnature ont déjà été découvertes.